Je ne suis ni critique, ni éditeur, mais un lecteur bien modeste dont les commentaires valent ce qu’ils valent… D’emblée, le style m’a surpris. On est loin de l’émotion et des accents poétiques de la nouvelle « Eaux nantaises ». Ici le ton est sec, froid, détaché, à l’image du narrateur. Ce constat conforte ma première impression, acquise à la lecture de la nouvelle : ces deux morceaux littéraires sont les textes d’une auteure confirmée. Il ne fait aucun doute de la maîtrise parfaite de l’art du récit, du style à la construction – ou l’inverse, si structurale.
Ne lisant jamais la 4e de couverture, je pensais que le narrateur allait virer serial killer et qu’il nous serait infligé d’insoutenables scènes de torture. Et puis non, la voie choisie est plus originale – et plus casse-gueule – l'auteure se fait l’avocate du diable sur la question de l’eugénisme, puis sur d’autres sujets qui agitent notre société. Le projet du narrateur est cohérent, implacable ; lui aussi contrôle tout, et l'auteure gagne son pari, parvenant à rendre l’illusion que tout cela serait en définitive possible, qu’un individu doté des facultés nécessaires puisse agir dans l’ombre et provoquer, quasiment à lui tout seul, un holocauste.
Au début, lors de la phase « drogues », le livre m’a fait penser à une lecture de mon adolescence, « Roman avec cocaïne » de M. Agueev. Quand le narrateur s’attaque à la connerie humaine, après un temps d'amusement (on dirait presque qu’ici l'auteure se lâche), le sujet renvoie, comme toujours, à la réflexion : sur la tolérance, le gendarmisme, l’autojustice (désolé, je crois que ces mots n’existent pas), la proportionnalité entre crime et châtiment, etc.
Ce qui est bien, c’est que pour ne pas se laisser emporter par les arguments du narrateur, le lecteur est constamment obligé de se poser les bonnes questions. Quelles sont les raisons, les valeurs qui fondent le principe de solidarité, de respect de l’autre, de la vie, etc. ? Face à l'excès et au regard faussé du narrateur, le lecteur est sans arrêt contraint de réfléchir à ce que lui-même pense de chacun des sujets évoqués dans cet état des lieux peu reluisant de la société.
Petit clin d’œil qui m’a amusé, jamais le narrateur ne dévoile son nom, à l’instar de celui de La Recherche – d’ailleurs si Marcel avait été un prénom plus moderne, je suis certain que l'auteure l’aurait préféré à Georges pour la fausse identité de son personnage. Le point de vue masculin est très convainquant. Chez Proust aussi il y a un mélange des genres.
Donc pas de science-fiction comme je le croyais, mais un roman réaliste, très actuel, culotté, qui je l’espère sera le premier d’une longue série.
Bernard Peigné, auteur
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