Il était une fois une femme, une grande jeune femme, qui s’appelait Thérèse. Elle n’avait jamais vraiment atteint l’âge adulte mais n’était pas une enfant non plus. Elle venait d’un monde dans lequel personne ne savait mentir. Même pas les autres adultes, et encore moins les enfants. Tout le monde mangeait à sa faim, pensant aux autres et étant à l’écoute de son corps, ne mangeant ni trop, ni pas assez.
Dans ce monde, les gens s’aimaient inconditionnellement ; ça veut dire qu’ils ne se jugeaient pas et se portaient de l’affection toute leur vie durant, formant des paires, des triples, des quadruples et des groupes entiers d’êtres s’aimant sans barrières, sans jalousie, sans haine et sans bêtise. Dans son monde, personne ne souffrait, car personne n’avait envie de faire souffrir les autres, ni de souffrir soi-même. Il n’y avait pas d’auto-destructeurs, de saboteurs, de psychopathes, de pervers ou encore de sadiques.
Tout était d’une platitude consternante, pour Thérèse.
Elle ne savait pas réellement ce qu’elle cherchait, mais il manquait quelque chose dans sa vie. Tout avait un goût de fade, même la nourriture délicieuse qui sortait de son jardin et que sa mère et son père cuisinaient avec amour et qu’elle mangeait goulûment, toujours plus que les autres, comme si elle avait eu peur de manquer, ce qui, dans son monde, était tout simplement impensable.
Tout, pour Thérèse, avait un goût de “pas assez”, de trop peu. Dans son monde, Thérèse n’était pas une jeune femme comme les autres ; elle n’était pas satisfaite.
Un jour, alors qu’elle se baladait à travers les champs arborés qui maintenaient la biodiversité, elle tomba dans un trou. Un trou au fond duquel il y avait une drôle d’odeur, un peu rance, un peu âcre, une odeur qu’elle n’avait jamais sentie.
S’aidant de son odorat, elle s’avança dans le trou, tant et si bien qu’elle finit par voir de la lumière. Là, devant elle, s’étendait un monde qu’elle n’avait jamais vu. Il n’y avait presque pas d’arbres et la ville était toute grise. Une odeur forte régnait, prenant à la gorge, la faisant tousser, avoir un haut-le-coeur. Cependant, Thérèse ne pouvait s’empêcher de sourire, heureuse ; elle avait fini de s’ennuyer, c’était certain !
Elle avança vers la ville, tentant tant bien que mal de respirer au travers des gaz d’échappement et de la fumée des usines. Au détour d’un chemin, elle vit un petit garçon qui jouait avec son chien.
“Bonjour ! Je m’appelle Thérèse et je viens de très loin ! Tu me fais visiter ?
- J’ai pas le droit de parler aux inconnus ! Va-t-en !” répondit sèchement le garçon avant de s’enfuir en courant, emmenant son chien avec lui.
Thérèse ne comprenait pas ; dans son monde, tout le monde s’aimait et avait confiance, personne n’avait peur de se parler, et surtout, tout le monde avait le droit de faire ce qu’il voulait.
Elle s’avança encore, entrant résolument dans la ville, décidée à en savoir plus sur ce monde si étrange et passionnant. Elle fut bientôt attirée par une odeur délicieuse qui chatouillait ses narines ; une odeur de pain frais tout juste sorti du four… Elle se dirigea vers l’enseigne aux grandes vitres d’où se dégageait l’irrésistible fragrance.
“Bonjour monsieur ! Que votre pain sent bon… J’en voudrais bien s’il vous plaît.
- Bien sûr ma petit dame, ça fera 1€ pour la baguette, 4 € le pain de campagne.
- Des euros ? A quoi ça sert ? Qu’est-ce que c’est ?
- Vous vous foutez de moi ? Dégagez, je veux pas de rigolos ici ! Allez, dégagez !”
Joignant le geste à la parole, le gros monsieur avec son tablier blanc s’avança vers Thérèse, donnant de grands coups de torchons dans sa direction. Effrayée, elle sorti de la petite boutique en courant. Elle couru, couru, couru, encore et encore, crachant ses poumons dans l’air vicié, l’estomac dans les talons, le coeur battant la chamade.
Elle finit par s’arrêter, à bout de souffle, dans un parc où trois arbres se battaient en duel, tentant de capter la lumière qui perçait à travers un nuage jaune de pollution.
Là, dans un coin, sur un banc, serrés l’un contre l’autre, deux amoureux se mordillaient l’oreille, s’embrassaient, se murmuraient des mots tendres. Thérèse sourit. L’amour existait dans ce monde ! L’amour inconditionnel ! Rassurée, elle s’avança vers eux, s’asseyant à leurs côtés, un grand sourire aux lèvres.
“Nan mais ça va pas bien la tête ! T’es qui toi ? Dégage !” Le jeune homme lui envoya son poing dans la figure, faisant craquer sa joue d’une drôle de manière. Thérèse tomba au sol, sonnée, et perdit connaissance.
Quand elle se réveilla, elle était dans son lit, et sa mère, son père, ses frères et soeurs, ses voisins, ses amis, étaient tous au-dessus d’elle, un air inquiet et emprunt de bienveillance sur le visage.
“Comment vas-tu ma petite Thérèse ? Tu nous as fait une peur bleue… Le boulanger t’a retrouvée sur le bord de la route, tu avais le visage tuméfié, tes vêtements étaient sales et gris et tu ne bougeais plus… Nous nous sommes tous inquiétés pour toi.
- Oh maman, c’était horrible ! J’étais dans un monde qui n’a rien à voir avec le nôtre, un monde dans lequel les gens sont méfiants, méchants, et ne savent pas ce que c’est qu’aimer. Ils polluent tant et si bien autour d’eux que le ciel est constamment gris, que les arbres n’arrivent plus à pousser et que l’air est irrespirable ! Un monde dans lequel on ne peut pas manger à sa faim, un monde dans lequel les enfants ont peur de parler aux personnes qu’ils ne connaissent pas, un monde terrifiant…”
Alors la maman de Thérèse, et son père, et ses frères et soeurs, et tous ses amis la prirent dans leurs bras, et la cajolèrent, et la rassurèrent. Ils lui apportèrent à manger, à boire, et Thérèse mangea à sa faim, ni trop, ni pas assez, mangeant sa part, écoutant son corps et ses besoins. Et depuis ce jour, Thérèse apprécie ce qu’elle a, ce qu’elle vit, et ce monde merveilleux dans lequel elle évolue, celui où tout est apprécié à sa juste valeur, où les Hommes se respectent ainsi que la Nature et où l’amour inconditionnel existe pour de vrai.
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